Déconfinement ; contraintes et « nouvelle normalité » …

Coincé dans le « ici et maintenant », il a été parfois difficile de se projeter, luttant contre l’oppressante sensation d’une boucle sans fin.

La conception occidentale et linéaire du temps nous a rendus plus vulnérables à cette « éternité passagère ». La date du 11 mai a permis à borner ce « temps long » et d’avoir accès psychiquement (et logistiquement, aussi soyons honnêtes) au temps d’après !!

On a cru ; naïvement il est vrai ; que l’on allait pouvoir s’apaiser. Ne nous jetons pas la pierre !! Comme tout le monde, dans cette épidémie-pandémie nous apprenons au fur et à mesure. On s’est vite rendu compte que le stress du confinement était lentement mais surement en train de se transformer en « stress du déconfinement »…  D’autant plus qu’à rester à la maison, on commençait tout juste à s’habituer. Voire même pour certains, à en apprécier la situation. On a développé des habitudes, presque des rituels… rassurant dans ce monde que l’on ne reconnaissait plus.

On l’avait presque oublié, mais l’être humain est une espèce résiliente. Nous avons la capacité de nous adapter au chaos, un instinct de survie présent en chacun de nous. En Europe occidentale, nous en avions perdu le souvenir (même si quelques piqûres de rappel ces dernières années se sont bien faites sentir), parce que nous avons la chance de vivre en paix depuis plus de 70 ans. Mais il est bien là, réactivable au besoin lorsque l’Histoire télescope notre trajectoire… et c’est bien ce qui est en train de se produire. Il est fort probable que cette année 2020 marquera la fin de ce que l’histoire retiendra comme « le début du XXI° siècle ». 

Ainsi notre instinct de survie s’est réveillé. Nous avons eu peur… et c’est encore le cas avouons-le ! C’est en tout cas ce qu’il faut comprendre à la lecture des sondages qui donne 60% des Français contre la réouverture des écoles. On a le droit d’avoir peur, on vit à la maison avec une fenêtre ouverte sur le monde extérieur qui ne nous parle que des manquements et errements de la communauté internationale ; qu’elle soit politique, scientifique ou civile, ici ou là-bas. (Dans cette crise, l’impossibilité de se cacher derrière notre géographie ; « c’est loin ! Ici on ne risque rien » réactive l’angoisse qui titille notre instinct de survie.) Notre culture de l’information est tellement basée sur le « sensationnel » au sens marketing du terme, que nous sommes abreuvés de mauvaises nouvelles. On finit par être persuadé que dehors c’est l’apocalypse ! 

Ne nous méprenons pas, c’est très vrai dans certains endroits ; les services de réanimation notamment, dans les familles endeuillées également… Heureusement ce n’est pas une généralité. Souvenons-nous que le covid19 est en majorité une pathologie à la symptomatologie modérée. Le problème est qu’en situation d’épidémie (et plus encore de pandémie) le nombre absolu de cas augmente de fait le nombre de cas sévère et grave, même si en pourcentage il reste relativement restreint. C’est ce petit pourcentage qui occupe nos JT, nos pensées et nos angoisses… Notre fonctionnement naturel, complètement lié à des causes évolutionnistes, est de diriger notre empathie vers ceux qui nous sont proches géographiquement, culturellement.

 

C’est le « biais de la victime identifiable » un processus psychologique bien connu que l’on voit lorsqu’on évoque une catastrophe naturelle/guerre/attentat… de l’autre côté de la planète. C’est la tendance que nous avons tous à donner plus d’importance à des personnes sur lesquelles nous pouvons mettre un visage, qu’à d’autres personnes qui nous sont anonymes. En arrivant sur nos rives, l’épidémie devenue un « Ici et maintenant » nous donne cette capacité d’identification aux patients/familles atteints et ainsi augmenter notre angoisse.  Il est de fait assez logique de voir certains commencer à culpabiliser de se complaire dans la situation et de ne l’avouer qu’à demi-mot…  Comme s’il était honteux d’apprécier la tranquillité… au beau milieu du chaos.

Ce confinement, il a permis à certains d’entre nous de profiter de ce temps long. De s’organiser non pas selon le cadre sociétal, professionnel, ou encore scolaire, mais selon son cadre personnel… Et cela fait toute la différence ! Ce confinement a été l’occasion pour certains de retrouver leur espace de liberté. Un objectif, mais pas de consignes. La liberté de fonctionner selon ses propres règles.

 

Dans la vie de tous les jours, on est littéralement cernés par une multitude de contraintes.

Obligations, que l’on pourrait représenter par une succession de cadre de forme différente, dont l’empilement définirait l’espace résiduel comme notre espace de liberté, notre espace de création.

Chaque cadre correspond à une contrainte :

  • La première est celle représentant notre humanité : elle nous oblige à dormir, manger, boire, respirer. Cependant, elle délimite également un espace de liberté/création assez vaste pour nous permettre de choisir notre régime alimentaire : omnivore, végétalien, carnivore ou granivore… ou notre façon de dormir.
  • Un impératif biologique de base sur lequel se surajoutent les contraintes culturelles, familiales, professionnelles, géographiques, puis logistiques, puis…

À ce rythme, notre espace de liberté à la capacité à se réduire comme peau de chagrin

Ce confinement, il a littéralement fait disparaître quelques-uns de ces cadres : la logistique des transports, le travail pour les uns, le lien social pour d’autres… Les liens sociaux qui rappelle-le ont beaucoup de vertus, mais également la capacité à se dévoiler oppressants et aliénants. Pour certains d’entre nous, ce « temps-long » a permis l’élargissement de notre espace de liberté. On se sent mieux, de manière évidente ! Pour préserver ce mieux-être, il est important de ne pas se satisfaire de ce sentiment éphémère au risque de le voir s’évaporer à l’approche du deconfinement…  Voire se transformer en angoisse à l’idée de reprendre le même rythme qu’avant, avec potentiellement en plus la peur de la contamination.

Qu’on ait eu la chance de considérer ce confinement comme une tranquillité passagère, que l’on culpabilise de n’avoir toujours pas avancé sur notre « To-do liste », que l’on ait vu conf-call rimer avec casseroles, école et ras le bol… On a tous changé de rythme ces dernières semaines.  Tout le monde s’est retrouvé impacté, de manière différente il est vrai… mais avec un point commun tout même : celui d’avoir l’impression d’avoir pris une claque. Il a fallu se réorganiser, repenser les journées, se réinventer…

Le meilleur moyen de potentialiser tout cela et faire en sorte que la suite se passe au mieux serait d’analyser un peu plus en détail ces dernières semaines :

  • Qu’est qui a été le plus compliqué ?
  • Qu’est ce que j’ai aimé ?
  • qu’est-ce qu’il m’a manqué le plus/le moins ? 
  • qu’est-ce qui m’a plu/déplu ? 

Ce temps de confinement, c’était un peu comme une crise de la quarantaine avant/après l’heure pour tout le monde : le moment de faire le point sur la vie, les objectifs que l’on se pose et les priorités qui en émergent… Une vraie opportunité de littéralement disséquer notre quotidien et de faire le tri de ce que l’on garde et ce que l’on va tenter de changer.

Oui c’est facile à dire… mais je n’ai pas dit que c’était facile à faire. Et si cette pandémie nous a appris quelque chose, c’est bien que rien n’est impossible. Pour protéger notre système de santé, nous sommes restés chez nous pendant 8 semaines. Nous avons révolutionné nos façons de garder le lien avec nos amis et nos familles, nous avons fait fusionner nos sphères familiale, personnelle et professionnelle en un seul espace-temps ! Rien n’a été simple pour dire vrai, mais on a su le faire. Et de cette expérience, il faut se servir pour avancer sur son chemin personnel.

 

D’autant plus que ce qu’on a qualifié de « temps long » n’est que l’énoncé de ce qui s’annonce

D’autant plus que ce qu’on a qualifié de « temps long » n’est que l’énoncé de ce qui s’annonce. Ce déconfinement est un véritable pari sur l’avenir. On l’a assez entendu, le confinement avait pour objectif de maintenir à flot notre système de santé, diminuer le nombre de contacts pour que le nombre de cas soit le plus faible possible. Faire en sorte que tous les patients nécessitant une hospitalisation aient un lit disponible…  Cependant le véritable « temps long » commence le 11 mai. Il va nous falloir réinventer notre quotidien. Oui, encore une fois !  

À ce jour, nous n’avons pas de vaccin ni traitement véritablement efficace. D’autre part, nous pouvons lâcher l’idée de la protection par l’immunité collective, car nous sommes très loin des 60% nécessaires. Par conséquent, notre seule façon de garder le contrôle sur l’épidémie ; car c’est bien là tout l’enjeu ; est de rompre la chaine de transmission.

Pour cela, nos armes sont les mesures barrières et la distanciation sociale. Ces mesures sont notre véritable fil d’Ariane entre le confinement et l’après 11 mai. Nous les connaissons déjà, nous les appliquons depuis bientôt 8 semaines. L’objectif aujourd’hui est de les adapter à la vie du quotidien… pour que l’on puisse continuer à vivre, avoir des projets, des envies, des rencontres et des voyages. Certes, ce n’est pas simple et cela peut nous sembler bien dérisoire comme stratégie face au risque… Mais la même pulsion de vie qui nous a permis de nous adapter au confinement, va nous permettre de nous réinventer et continuer à vivre… dans notre « nouvelle normalité ».

 « Nouvelle normalité » … parce que ces mesures vont nous accompagner jusqu’à l’arrêt de l’épidémie… pour cela il nous faut 28 jours sans nouveaux cas au niveau mondial. Oui, on comprend rapidement que ce n’est pas pour demain aux vues des chiffres (officiels, auxquels on peut rajouter l’allègrement les quasi autant non comptabilisés). Le vaccin ? pas avant quelques mois au mieux. Un traitement efficace… On l’attend toujours ?! En tout cas, nos chercheurs travaillent à ces deux dernières réponses, à nous de mettre en place la première solution : diminuer le nombre de nouveaux cas… pour éteindre l’épidémie. Bien sûr, cela est compliqué, oui ça veut dire des concessions… Mais est-ce qu’on a envie de retourner au cinéma ? Au restaurant sans paroi plexiglas et à Copacabana ? Il est probable que oui ! Certains sauront accuser le masque et les mesures barrières de nous voler notre liberté, alors qu’ils seront les instruments indispensables à notre échappée belle…  

 

Et au niveau global ?

On critique beaucoup les politiques, les scientifiques de dire une chose et son contraire… Dans cette épidémie, il faut se souvenir que l’on apprend de manière empirique et au fur et à mesure que l’on avance. Donc oui, cela veut dire aussi que l’on a encore beaucoup à apprendre (Rappellons-nous, c’est la première pandémie du monde moderne) et souvent de nos erreurs ! Dans ce contexte, nous avançons un peu à tâtons… la vérité d’aujourd’hui peut être déconstruite demain. D’autant plus que l’aura toujours une zone tampon de 3 semaines environ entre le moment où on prend une décision censée agir sur la courbe épidémique et le moment où l’on peut en constater les résultats. Trois semaines, parce que la période d’incubation maximum du covid19 est de 14 jours. Au bout de trois semaines, nous aurons une visibilité sur les cas infectés au 11 mai et également sur ceux dits de 2de génération post confinement. (C’est-à-dire ceux qui ont été infectés à partir des premiers cas du 11 mai). C’est pourquoi le déconfinement va se faire par phase et qu’on aura droit à un « point d’étape » à l’horizon fin-mai.

Au-dessus de tout ça, il y a un détail qui est loin d’en être un ; c’est le facteur humain. Nous, populations, sommes le facteur humain. Nous sommes littéralement et indéniablement le maillon faible de la gestion d’une épidémie. Dans ce contexte, peu importe ce que l’exécutif peut mettre en place pour le déconfinement. Si le facteur humain n’a pas confiance, n’a pas compris ou n’a pas envie « parce que de toute façon ce sont tous des incompétents (pour ne pas dire autre chose) ces politiques »… on risque un retour de manivelle… et retourner dans une situation similaire, voire potentiellement pire que début mars. Fin mai, il faudra quoiqu’il arrive ajouter aux patients Covid+, les patients chroniques qui ont laissé s’aggraver leurs santés pendant le confinement et qui vont arriver en afflux massif dans les hôpitaux.

 

Donc ce déconfinement, il fonctionnera seulement si nous comprenons l’importance de maintenir ces mesures barrières et les adapter à notre fonctionnement quotidien. Nous le faisons pour nous et notre santé, mais nous devons le faire aussi et surtout pour la santé des autres. Le plus grand challenge de ce déconfinement va être de comprendre le concept de santé publique : « Ma santé passe par celle du groupe » que l’on peut traduire aujourd’hui de manière plus pragmatique pour certains, par « mon droit à faire ce que je veux de mon été 2020 passe par la santé de la population ».

Si certains se considèrent trop jeunes, en zone trop verte, ou trop au soleil pour s’inquiéter du covid19, il est fort probable que ces mêmes personnes soient au moins motivées par leurs envies d’un retour à la vie normale.

 

Dans les romans d’anticipation du siècle passé, pour 2020 on envisageait plus les vacances sur la lune que le retour à la maison pour cause de pandémie planétaire. Les progrès de la science à la fin du XX° nous avaient laissé croire que nous pouvions être invincible, que nous étions légitimes et que notre modèle était le bon. Quelques semaines ont suffi pour balayer ce que certains portaient comme des certitudes.

 

Au moment de penser le monde de demain, son fonctionnement, ses valeurs, son équité, sa capacité à coopérer…  Pensons que le XXI°s n’a pas fini de nous challenger (nous ne sommes d’ailleurs pas étrangers à la cause).  Alors qu’une fois encore, la solution proposée passe par le repli sur soi. Ne pourrions pas faire de cette pandémie, cet « Autre » qui arriverait à unir l’humanité et nous faire enfin frères ? Non, pas naïve… juste le besoin d’y croire.

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