Le conflit Russo-Ukrainien

En 20 sec :

Un conflit autour de la souveraineté nationale, qui provient à la fois d’un nouvel ordre mondial et de la dissolution de l’URSS… qui remonte jusqu’à notre actualité par le biais des sentiments de rejets et d’encerclement vécu par la Russie… Un conflit qui donne corps aux tensions que la guerre froide avait su éviter.

ALTERNANCE DES INFLUENCES EN UKRAINE

Le conflit ukrainien est venu challenger notre début d’année 2022, mais les braises couvent depuis de nombreuses années voire décennies. Une guerre fraternelle où les arbres généalogiques s’entremêlent et se jouent des frontières. En Ukraine, quasi un tiers de la population est russe et en Russie il y a au moins 20% de la population qui a des origines ukrainiennes. C’est un conflit à haute tension émotionnelle pour les populations aujourd’hui qui en fonction de l’issu risque d’en porter les fruits dans les décennies à venir. Un conflit qui se projette d’ores et déjà dans l’avenir, tout en prenant racine dans le passé.

 

À l’aube du XXI°s  les relations internationales se sont invité dans les élections présidentielles en Ukraine. Élection opposant un partisan au rapprochement avec l’Europe : Iouchtchenko, à un candidat pro-russe : Ianoukovitch. Élections à l’occasion desquelles se déclenche la révolution orange devant les suspicions de fraude. Un vote réorganisé un mois plus tard porte Iouchtchenko à la présidence et marque un rapprochement notable de l’Ukraine envers l’OTAN et l’Union européenne.

 

Une présidence décevante ramène Viktor Ianoukovitch (prorusse) à la présidence en 2010, qui s’empresse de déconstruire les rapprochements vers l’ouest et de donner des gages à la Russie. La neutralité envers l’OTAN, le maintien du statut de la langue russe au sein de l’Ukraine et le renouvellement du bail du port de Sébastopol (où est basé une partie de la flotte navale russe sur la mer noire) au-delà de 2017.

 

En 2013, l’Ukraine est au bord de la faillite. (Notons qu’aujourd’hui encore l’Ukraine est le seul pays des anciennes entités soviétique à avoir un PIB/hab inférieur à celui lors de l’indépendance en 1991) Pour faire face à cette crise, le gouvernement ukrainien pro-russe choisit de passer un accord avec la Russie (qui offre une levée des barrières douanières, une baisse du prix du gaz russe et un prêt de 15MUSD)  alors qu’il avait d’ores et déjà entamé des discussions avec l’Union européenne.

Un accord qui provoque un nouveau soulèvement populaire, c’est la révolution de Maïdan et entraine la chute du gouvernement en février 2014. La présidence par intérim enlève le statut de la langue russe en Ukraine, tente un rapprochement vers l’OTAN… la Russie prend ombrage, on a d’ores et déjà deux lectures différentes d’un même évènement. Du côté russe on l’interprète comme un coup d’état destituant le pouvoir en place et du côté occidental on y lit une révolution renversant un autocrate.

FRACTURE NATIONALE

De fait l’évènement n’est pas sans conséquence. Dans la partie Est du Pays, la population est loin d’être sur la même ligne idéologique et créée des brigades d’autodéfense. En mars 2014, la république autonome de Crimée prend ses distances et signe un rattachement à la Russie suite à un référendum. Le mois suivant les régions de Donestsk et de Louhansk se déclarent indépendantes en tant que RPD (République populaire de Donetsk) et RPL (République populaire de Louhansk), recouvrant 1/3 du territoire du Donbass.  Le pouvoir central à Kiev n’accepte pas la tentative de séparatisme, les combats deviennent de plus en plus présents dans ces régions.

 

A l’automne de la même année l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) tente de rassembler les protagonistes autour de la table pour un cesser le feu.

Du côté russe, la montée en puissance de l’OTAN sur le continent européen devient problématique, l’adhésion des états baltes (Lituanie,  Lettonie et Estonie) à la frontière russe en 2004 marque la dernière acceptation. Lorsqu’en 2008 au sommet de l’OTAN, Mr G.Bush déclare que l’Ukraine pourra un jour faire partie de l’alliance atlantique Nord, La Russie prend ombrage. Nous sommes aujourd’hui en 2022, quelques années déjà que Mr Poutine a compris que l’ouest ne l’accepterait pas. Ce qu’il n’a pas compris c’est que l’Europe ne rejette pas la Russie, mais le comportement de celle-ci… la guerre en Tchétchénie, en Georgie, la Crimée, Le Donbass (un conflit qui dure donc depuis automne 2014, et qui a fait jusqu’à fin 2021 près de 14 000 morts), et son incapacité à être une démocratie libérale et une puissance raisonnée.

FOCUS :

C’est le protocole de Minsk qui ne parvient pas à convaincre malgré une signature de la Russie et de l’Ukraine. 13 points, dont le retrait des armements lourds, la libération des prisonniers d’une partie et de l’autre ainsi que des réformes constitutionnelles qui devait reconnaitre le statut spécial des régions aux mains des séparatistes. Une seconde tentative en février 2015 entérine les accords de Minsk II… toujours non respecté notamment parce que la tenue d’élections dans les régions du Dombass aurait permis à la Russie d’envoyer des députés pro-russes au parlement de Kiev.

Pour aller plus loin : L’Organisation de l’atlantique nord a pour objectif de promouvoir les valeurs démocratiques et de garantir la liberté et la sécurité de ses membres par des moyens politiques et militaires. Rappelons que l’objectif premier de l’OTAN était de mettre en place un pacte d’assistance mutuelle visant à contrer le risque venant de l’Union soviétique. L’OTAN qui comportait 12 membres à ses débuts, en comporte aujourd’hui 30 dont la dernière adhésion remonte à 2020 avec la Macédoine du Nord. Pour autant, plus qu’une réelle volonté expansionniste, l’OTAN répond à des demandes de « mises en sécurité» de la part des pays anciennement membres du pacte de Varsovie.

LA MONTÉE EN TENSION

On le constate ces vingt dernières années, le pouvoir en Ukraine oscille entre politique de rapprochement à l’Ouest et retour vers la Russie. Depuis 2015, c’est un gouvernement tourné vers l’Europe qui lutte contre les régions séparatistes du Donbass et qui approuve en septembre 2020 une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui prévoit le développement d’un partenariat avec l’OTAN.

En novembre 2021, l’Europe et les États-Unis s’inquiètent d’une activité militaire russe aux abords de la frontière russo-ukrainienne. S’en suivent de multiples négociations bilatérales avec le président Poutine, alors que de son côté les États-Unis déclarent publiquement ne pas avoir l’intention d’envoyer des troupes sur le sol ukrainien.

 

Une déclaration prise comme une autorisation de « guerroyer en paix » par la Russie, qui prend le non-respect des accords de Minsk comme prétexte pour intervenir militairement dans le Dombass le 24 février. Trois jours plus tôt, la Russie alors présidente du conseil de sécurité à l’ONU reconnaissait l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, tout en déclarant :

 

« N’appelez pas cela une guerre, mais une opération militaire spéciale dans le Donbass »

 

Sans oublier de rappeler que « l’Occident avait depuis trop longtemps fermé les yeux sur les exactions de l’Ukraine envers le Donbass depuis 2014 » ce qui les obligeait à endosser le rôle du « chevalier blanc ».

 

LA PRISE DES ARMES

Mr Poutine a pris le monde au dépourvu, en mettant ses menaces à exécutions. Ce n’est pas la première fois. En prenant possession de Simferopol (capitale de la Crimée) en 2014 il démontre au reste du monde que la Russie est bel et bien une puissance militaire, et qu’elle est capable d’obtenir ce qu’elle désire…

Aujourd’hui, la Russie utilise la même approche. Des exigences qu’elle entend légitimer par l’Histoire et obtenir soit par voie diplomatique soit par la force :

 

  • Le maintien d’un statut neutre et non nucléaire de l’Ukraine (1994 : désarmement nucléaire de l’Ukraine a été échangé contre un engagement du respect des frontières ukrainiennes par la Russie, incluant la Crimée : donc non respectée par la Russie dés 2014),
  • Une démilitarisation obligatoire (justifié dans un premier temps pour éviter les conflits dans le Donbass) et sa « dénazification» (probablement l’exigence la plus complexe à résoudre, de par la différence de point de vue des protagonistes à ce sujet).
  • La reconnaissance de l’annexion de la Crimée à la Russie
  • La reconnaissance de la souveraineté des régions séparatistes de Louhansk et Donetsk.

En Ukraine, la population se retrouve du jour au lendemain devant les colonnes de chars russes, 3 millions de personnes ont fuit le pays en moins d’un mois, avec probablement beaucoup plus de déplacés (restant dans les frontières du pays).

Les troupes russes utilisent la stratégie de l’encerclement. Autant au niveau des villes, que du pays en lui-même avec des troupes au nord (qui viennent de la base arrière biélorusse) au sud (venant de la Crimée) et à l’est (en traversant le Donbass) qui semblent vouloir se rejoindre pour partitionner le pays et les troupes ukrainiennes en deux.

LA MENACE NUCLEAIRE

Au milieu de cela, Moscou agite la menace nucléaire et propage la peur. Les troupes russes rapidement prennent possession de la centrale de Tchernobyl (qui a explosé en 1986 créant une des plus grandes catastrophes environnementales du XX°s). Le symbole de ce contrôle dans la conscience collective est quasi traumatique. De plus l’arrivée des troupes sur la centrale de Zaporijjia, où un feu se déclare maintient le sentiment d’incertitude et de peur qu’exploite à dessein  Mr Poutine pour ses négociations/exigences.

 

Il couvre le tout d’une menace très claire à quiconque viendrait s’opposer à la Russie en Ukraine et qui se verrait « subir des représailles comme jamais l’histoire n’en a vécu. »

GUERRE D’OPINION

Un conflit qui dès le départ joue le contrôle de l’information. Depuis 8 ans, la Russie expose à ses populations un narratif sur les exactions de l’armée ukrainienne dans les régions du Donbass. Un « livre blanc » y diffuse les « preuves en image ». Pour autant la population russe est bien moins réceptive qu’en 2014 lorsque la Crimée fut ramenée dans le giron russe.

 

Aujourd’hui, il est interdit à la population de contredire/d’interpeller le régime russe sur le conflit. Une nouvelle loi promet de lourdes peines de prison, pouvant aller jusqu’à 15 ans de réclusion pour quiconque viendrait à publier des « informations mensongères sur l’armée russe ». Certains réseaux sociaux sont censurés ainsi que les médias étrangers, qui rapatrient leurs correspondants.

 

Au niveau international, la Russie tente une désinformation pour imposer sa grille de lecture et légitimer son action contre l’Ukraine. Elle accuse l’Occident ne pas tenir ses promesses. Un message qui fait écho à ces deux dernières années, où effectivement l’occident n’a pas tenu ses engagements auprès… du monde entier en se réservant la quasi-totalité des vaccins anti-covid. Alors que la Russie et la Chine (à plus grande échelle) ont largement diffusé leurs vaccins dans les pays à revenu faible et intermédiaire, accompagné du message:

«Nous n’avons pas eu besoin de claironner vouloir aider le monde sans le faire…

Nous, nous le faisons.»

Le Mexique, le Brésil, l’Iran, une grande partie des pays d’Afrique, l’Inde… ont reçu en 2021, le vaccin Spoutnik V. Ces mêmes pays qui aujourd’hui ne souhaitent pas mettre en application les sanctions occidentales envers la Russie.

Une Russie qui a tout intérêt à élargir le narratif du conflit pour rallier autour d’elle. Un conflit porté par un sentiment de rejet et d’incompréhension de son temps passerait beaucoup moins bien qu’une guerre contre les propensions expansionnistes de l’occident (expansion de l’OTAN dans les anciens pays du pacte de Varsovie). C’est d’autant plus facile à défendre à l’international, que cela fait écho à l’histoire coloniale du vieux continent… une blessure encore largement non cicatrisée dans de nombreux pays.

 

La Chine, pays avec lequel Mr Poutine a signé un accord sur le « nouvel ordre mondial démocratique » il y a moins d’un mois, s’est abstenue de voter la résolution « Agression contre l’Ukraine » de l’assemblée générale des Nations Unies le 2 mars dernier. Il y a aujourd’hui un partenariat entre les deux pays qui implique si ce n’est une validation, tout au moins une acceptation des agissements de l’un et l’autre. D’autant plus qu’en se mettant à dos l’Union européenne, la Russie espère élargir ses relations commerciales et diplomatiques dans l’aire asiatique dont elle fait partie.

MOBILISATION INTERNATIONALE

L’Ukraine résiste, se découvre un président symbole de résilience et d’adaptation du peuple, qui sait parler au reste du monde en demandant assistance et exclusion de l’espace aérien. Une solidarité inédite se met en place dans les pays européens autant au niveau des sociétés civiles, que des états qui arme la population russe et entame une succession de sanction à destination de la Russie.

Des sanctions contre la Russie, il y en a déjà quelques centaines, mais février 2022 voit durcir la ligne de celles-ci. S’ajoutent aux gels des avoirs de certains oligarques, des sanctions qui surprennent la Russie par leurs sévérités : Rupture d’accès aux technologies cruciales (composants électroniques, logiciels et composants aéronautiques) Fermeture de l’espace aérien européen aux avions russes, censures des médias d’opinion russe en France.

Le 1er mars marque une étape supplémentaire avec l’exclusion de plusieurs banques russes du système de communication interbancaire : SWIFT (Society for worldwide interbank financial telecommunication).

 L’Allemagne suspend la mise en service du gazoduc « Nord Stream 2 », la Suisse sort de sa neutralité pour suivre la totalité des sanctions imposées par l’UE à la Russie. La banque mondiale interrompt ses programmes d’aide à la Russie et la Biélorusse. Plusieurs groupes privés y boycottent et ferment leurs activités : Sony, Disney, Apple, H&M, Ikea, One Web, Hermes…

L’Europe se découvre un véritable pouvoir insoupçonné sur la plan économique, sans pour autant être capable d’activer le plus efficace des leviers : l’énergie et plus précisément le gaz. L’Europe porte une très forte dépendance au gaz russe, pouvant aller jusqu’à 100% en Autriche et 20% pour la France. Une dépendance qui, d’un côté finance la Russie, mais rend également inenvisageable d’amener les sanctions sur le plan énergétique pour l’année 2022.  

 

Le monde du sport réagit également, le CIO, l’exclusion des athlètes paralympiques des JO de Pékin, les grandes rencontres sportives qui devaient se tenir en Russie sont relocalisés (la finale de la champion league devant se tenir à Saint Peterbourg sera au stade de France), les rencontres d’équitation, d’échecs…

 

L’OTAN, L’Union européenne, les différents pays appelés à l’aide par l’Ukraine tente de réussir le tour de force du double jeu : soutenir l’Ukraine le plus possible sans déclencher l’entrée dans le conflit des forces de l’OTAN qui reviendrait à déclencher peu ou prou une 3e guerre mondiale. A éviter absolument.

Pour cela il est important que l’occident communique sur la raison de son engagement auprès de l’Ukraine : défendre la souveraineté territoriale d’un état agressé en Europe continentale.  

ET DEMAIN ?

 

Les quatrièmes pourparlers sont en cours actuellement avec une tentative d’« un cessez-le-feu et un retrait des troupes russes » du territoire Ukrainien alors même que les frappes russes continuent de viser Kiev.

 

De son côté le président ukrainien reconnait que son pays ne pourra pas adhérer à l’OTAN, tout en estimant que les Russes auraient « commencé à comprendre qu’ils ne parviendraient à rien par la guerre ».  l’Ukraine se vide de sa population, une économie à l’arrêt, des problèmes de ravitaillement qui se généralise, mais qui n’envisage à ce jour aucune reddition.

 

Le Conflit Russo-Ukrainien démontre par les faits le besoin nécessaire et indispensable de redéfinir les règles des relations et des instances internationales. Le maintien du P5, le club des membres permanents au conseil de sécurité ne font que tisser une dynamique que l’on pensait aujourd’hui révolue. Il est temps d’ouvrir ce conseil de sécurité à la multipolarité de notre monde, avant qu’il ne nous enferme à nouveau dans une bipolarité où l’occident risquerait de ne pas en sortir gagnant…

 

Partager sur vos réseaux :