Un an que la guerre entre la Russie et l’Ukraine défie les analystes et la logique géopolitique.
Alors qu’il était plus ou moins acté que les conflits interétatiques de hautes intensités faisaient partie du passé, la Russie est venue rappeler à l’occident qu’en géopolitique il ne fallait pas seulement réfléchir avec la tête, mais aussi tenter d’en comprendre le cœur.

Pensée comme une attaque éclair, l’opération spéciale de la Russie infirme d’une nouvelle illustration la théorie de la pacification par le marché économique. L’affrontement s’enlise et laisse l’occasion à chacun des belligérants ; enfermés dans leurs certitudes et leurs légitimités ; à se plonger dans le jusqu’au boutisme.

La guerre hybride du XXI° s

Dès le début du conflit fin février 2022, la Russie a tenté une prise en étau de l’Ukraine. Les troupes russes arrivaient par le sud, l’est et le Nord ciblant Kiev, dans l’objectif de faire tomber le reste du territoire. Alors que mi-mars la région de Kiev était largement occupée par les troupes russes, la ville a su résister. La contre-offensive ukrainienne début avril libéra le nord-est actant l’échec d’une prise rapide de la capitale. Les forces russes se dévoilant ainsi mal renseignées, mal préparées, et surtout mal coordonnées. En se retirant de la zone du Nord-Est, les troupes russes laissèrent trace de ces trop nombreuses exactions, corps gisant dans la rue, viols utilisés comme arme de guerre, tortures… dont Boutcha (ville à l’ouest de Kiev) devient le symbole. Au printemps la Russie s’est alors repliée dans le Donbass d’où elle pilonne le front ukrainien.

Rapidement, l’Armée et la société civile ukrainiennes se sont organisées. Volodymyr Zelenski (président de l’Ukraine) symbole de la résistance ukrainienne face au Goliath russe, est venu toquer aux portes occidentales et internationales pour obtenir armes et soutiens. Tout en reconnaissant et condamnant l’invasion, l’occident reste dans la crainte d’un emballement nucléaire tout autant qu’un élargissement du conflit au continent Européen. Ce sont donc des armes à visée défensive qui sont fournies à l’Ukraine. Finalement, c’est la Pologne en premier qui a procuré des chars à l’Ukraine, suivis par les lance-roquettes multiples américains. Un arsenal venu renforcer la force de frappe ukrainienne, permettant la contre-offensive qui libéra l’est de Kharkiv début septembre et Kherson en novembre 2022. 

La libération de la région de Kharkiv dans le nord-est, a poussé Vladimir Poutine (Président de la Russie) à déclarer une mobilisation partielle de sa population. 300 000 hommes supplémentaires, dont une grande majorité a été envoyée sur le front sans formation ni préparation. La Russie a concentré son effort sur le sud-est du Pays afin de maintenir une continuité territoriale entre la Russie et la Crimée. S’assurant ainsi le maintien d’un débouché sur les mers du Sud à travers le port de Sébastopol. Fin septembre La Russie a déclaré les quatre régions de Kherson, Zaporijjia, Donetsk et Louhansk juridiquement Russe. Depuis lors le conflit semble s’enliser pour ressembler à une guerre hybride mêlant guerre de position avec tranchée, drones armés, chars et moyen de communication basé sur le système satellitaire Starlink.

OTAN/UE, l’effet domino

Un an de guerre que l’on a qualifié début 2022 de fratricide aura suffi pour éloigner durablement l’Ukraine de l’influence russe. Alors que Mr Poutine espérait consolider l’influence russe sur le versant Est du continent européen, il n’a fait qu’en précipiter le virage vers l’Ouest.

L’Ukraine en premier demanda la double adhésion à l’UE et l’OTAN, entrainant dans son sillage la Géorgie craignant d’être les prochaines cibles du Kremlin. La Moldavie de son côté sollicita l’adhésion à l’UE, tandis que la Bosnie-Herzégovine, la Finlande et la Suède frappèrent à la porte de l’OTAN pour s’assurer d’une protection militaire contre un voisin finalement trop proche.

En redonnant vie à l’OTAN, Vladimir Poutine obtient l’exact opposé de son objectif initial, mais c’est aussi l’Europe qui y perd son rêve d’autonomie stratégique en se remettant sous couvert américain.  

A l’est du front :

La Russie du XXI° s non reconnue par l’Occident (UE, mais surtout les USA) comme puissance mondiale, a voulu montrer qu’elle avait toute sa place sur l’échiquier mondial. Pour autant à ce jour, aucun des objectifs annoncés par la Russie au début du conflit n’ont été remplis : L’Ukraine a perdu toute velléité de neutralité, n’a jamais été autant militarisé et clame au monde entier que la guerre ne sera finie que lorsqu’elle aura récupéré l’intégralité de son territoire ; Crimée et les régions du Donbass comprises. « L’opération militaire spéciale » annoncée le 24 février 2022 avait été lancée sur un argument de défense de l’espace vital de la Russie. Vladimir Poutine voulant garder l’Ukraine comme zone tampon entre la Russie et l’OTAN.

Pour aller plus loin :

Le narratif de ce premier communiqué du Kremlin en février 2022 est important et dresse la ligne de conduite des mois qui ont suivi. À destination de sa propre population, mais également vers le reste du monde. Vladimir Poutine a su modeler son récit pour endosser le rôle du chevalier blanc venant à la rescousse des opprimés du Donbass dans une Ukraine qui ne respectait pas les accords de Minsk. Une lecture des évènements partagés par certains pays et qui alimentent aujourd’hui une fracture non pas Nord/Sud, mais Occident versus le reste du monde. 

L’annonce de l’« intervention militaire spéciale » était assortie de « conséquences auxquelles vous n’avez jamais été confrontés dans votre histoire » à tout acteurs volontaristes de l’extérieur… Tout le monde ayant bien compris l’allusion à la menace nucléaire. Une stratégie de la terreur qui alimenta les discussions sur le positionnement des états européens face à ce conflit dans son arrière-cour. Se positionner, aider, fournir du matériel, des formations, des hommes au risque d’être considéré comme cobelligérant ? faut-il risquer l’extension du conflit au continent européen ? Un danger trop important qui poussa les pays occidentaux à répondre dans un premier temps par des sanctions économiques afin de ne pas franchir le pas de la prise d’armes. La Russie et l’Europe ayant des liens économiques forts, l’UE pensait pouvoir affaiblir la Russie pour la contraindre à un cessez-le-feu.   

De l’unité fantasmé à la fracture

Des sanctions économiques qui ont fait attention d’épargner dans un premier temps les acteurs et banques par lesquels transitaient les opérations liées au gaz et pétrole. Plusieurs pays européens notamment la Pologne, l’Allemagne, l’Italie et Autriche étaient grandement dépendants du gaz russe. Un lien qui ne peut se défaire en quelques jours sans avoir un impact majeur sur l’économie et les populations en général.
C’est ainsi qu’une première salve de sanctions fut lancée dès fin février, avec l’intention non cachée d’isoler la Russie sur le plan économique. L’occident à ce moment compte sur la condamnation internationale de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et c’est le cas, le 2 mars 2022 la quasi-totalité des états membres des Nations unies vote la condamnation de l’agression contre l’Ukraine. D’autres s’abstiennent (comme l’Iran ou la Chine), mais seules la Biélorussie, l’Érythrée, la Syrie et la Corée du Nord vote contre. Mais cette condamnation morale ne veut pas dire condamnation économique et de fait, peu de pays soutiennent et appliquent les sanctions économiques européennes contre la Russie. Beaucoup de pays affichent une neutralité face au conflit considérant que ce conflit occidentalo-occidental ne les concerne pas ou trop peu pour s’impliquer et prendre position. On retrouve la notion des « non-alignés », cette fois mené par une Chine qui se voudrait leader du Sud Global.

À l’heure où le monde occidental aligne sa dixième salve de sanctions économiques début 2023, l’économie de la Russie ne s’est pas effondrée pour autant. En se désengageant du marché européen, la Russie s’est tournée vers l’Asie y trouvant les débouchés nécessaires pour que son économie n’affiche qu’une baisse de 2,5 % de son PIB en 2022. La hausse des prix de l’énergie sur le marché mondial ayant limité la récession économique du pays. Pour autant la situation en Russie n’est pas simple, la répression au sein même de la population russe a fait fuir une part importante de la population. Notamment parmi les classes aisées et socioprofessionnelles élevées. C’est quasi un million de jeunes diplômés qui ont quitté la Russie en 2022 (un déficit qui impactera la Russie autant dans son économie que dans son développement technologique dans les années à venir) auxquels il faut ajouter les quelque 200 000 victimes (blessés et/ou tués selon les estimations US) du front qui ne participent plus à l’économie russe.

Si en février 2022 la population russe soutenait massivement « l’opération militaire spéciale », ce n’est plus le cas actuellement. Pour faire face aux contestations internes, le Code pénal russe a évolué pour interdire la critique envers l’armée et le gouvernement… délit qui peut valoir jusqu’à 15 ans de prison pour un message posté sur les réseaux sociaux. Les familles des mobilisés se font de plus en plus entendre…

Malgré cela Vladimir Poutine s’en tient toujours à ses objectifs, et ne semble pas envisager de négociation qui viendrait remettre en cause « l’intégrité du territoire russe » dans sa globalité… (dont les 4 provinces nouvellement acquises).

Pour aller plus loin :

Quid des unités Wagner ? L’apparition dans le champ médiatique des unités Wagner (présidé par Evgueni Prigojine) en Ukraine n’a mis en lumière que la désorganisation supplémentaire de la chaine hiérarchique de l’armée russe. Double revendication de prise de la ville de Soledad par les unités Wagner et par l’armée russe conventionnelle. Les agissements du groupe Wagner dépassent allégrement le droit de la guerre autant vis-à-vis de ses propres mercenaires considérés comme de la « chair à canon » qu’envers les combattants et civils ukrainiens. Le groupe Wagner a été désigné aux USA comme une organisation criminelle internationale transnationale. E.Prigojine gêne jusqu’à Moscou où il fut le grand absent du dernier discours de Vladimir Poutine fin février 2023.

Quel impact sur le monde ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a attrapé la communauté internationale en pleine pandémie de covid19. Occupé à relancer une activité économique et rassuré par le principe de pacification par le marché, le monde occidental ne croyait pas à l’invasion. Par conséquent, il ne s’y était pas préparé, prenant de plein fouet les diverses conséquences du conflit et des sanctions économiques. La grande dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie a lancé une crise énergétique sur le continent générant une pénurie et portant l’inflation sur la zone euro de 8,5 % en 2022. Alors que le prix des énergies (gaz et pétrole) a ralenti leur progression début 2023, les prix alimentaires prirent le relais du moteur de l’inflation… Impactant toujours les foyers les plus vulnérables.

Le conflit Russo-Ukrainien à travers sa double composante énergétique et agricole dépose une ombre pouvant se déployer sur le monde dans sa globalité. L’alimentaire et l’énergie étant deux composantes nécessaires et indispensables à une société prospère. Leurs absences à la capacité de faire plonger n’importe qui en mode survie.  

Le grenier du monde

La Russie et l’Ukraine font partie des 10 plus gros producteurs de céréales au niveau mondial. Une particularité qui a fait peser le spectre de la famine dans plusieurs pays (notamment dans les régions subissant des sècheresses pluriannuelles, comme c’est le cas dans la corne de l’Afrique) avant que l’exportation maritime céréalière (90 % de la production ukrainienne) ne puisse se relancer via les « corridors de solidarité » céréaliers et le corridor sécurisé en mer Noire à l’été 2022. Cependant les mois/années à venir porteront de nouveau la question alimentaire. L’Ukraine n’a pu récolter que 50 % de sa capacité usuelle et le manque de céréales sur le marché mondial ne peut être remplacé par d’autres nations… Tout simplement parce que d’ores et déjà toutes les nations agricoles tournent à plein régime. D’autre part l’accord avec la Russie, sécurisant le corridor en mer Noire arrive ; après le passage de quelque 1300 navires ; à échéance le 18 mars prochain… posant la question de sa pérennité. Rappelons que 44 % du blé acheminé par ce corridor au cours des sept derniers mois ont été vendus à des pays à revenu faible et intermédiaire.

Indispensable énergie

Sur le versant énergétique, depuis 2021 Gazprom (Société russe détenue à 50,2 % par le gouvernement russe) utilisait de moins en moins les gazoducs via l’Ukraine et la Pologne et préférait piocher dans les stocks que l’entreprise contrôlait au sein de l’UE pour fournir l’Europe. Une politique qui nourrit la crise énergétique structurelle, notamment causée par le regain économique postCovid. Une reprise qui relança la consommation de GNL (Gaz naturel liquéfié) notamment en Asie, ce qui contribua de nouveau à la hausse des prix.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Russie via GazProm multiplia les raisons (techniques et contractuelles) pour diminuer ses livraisons de gaz à l’UE. La réalité géopolitique ainsi que celle du marché de l’énergie amenèrent l’Union européenne à prendre conscience de sa vulnérabilité. À travers le plan « REPower EU », l’UE affirme au printemps 2022 son ambition de gagner son indépendance vis-à-vis de La Russie bien avant 2030. La suite de l’année 2022 conforte l’UE dans sa position, notamment en voyant les prix du Mégawattheure s’envoler (340 €/MWh en aout 2022 vs 30 € en 2021) ainsi que les sabotages de NordStream 1 et 2 en septembre 2022.

C’est quoi « Repower EU » ?

Le plan adopté par l’EU vise à réaliser des économies d’énergie (en termes d’efficacité, mais aussi de sobriété), accélérer la production d’énergie renouvelable et travailler à une diversification des sources d’approvisionnement en énergie. 

La sobriété est entrée dans le discours politique par le biais de l’urgence géopolitique, et préfigure les difficultés d’approvisionnement énergétique pour l’hiver prochain au sein de l’UE et de ses pays membres. Une sobriété à tous les niveaux qui associée à la montée en puissance des énergies renouvelables devrait être la ligne de conduite de 2023. Ce qui aurait le double avantage d’agir également dans la direction des accords de Paris de 2015. 

D’autant plus important lorsque l’urgence de la guerre invisibilise les grands challenges du XXI° s qui nécessitent la coopération de tous, notamment la lutte contre le changement climatique qui fait de plus en plus de dégâts à travers le monde. Les catastrophes naturelles en 2022 ayant tué 11 000 personnes et entrainé plus de 270 milliards d’USD de dégâts. 

Quel avenir pour le conflit ?

Aujourd’hui le monde a les yeux rivés sur Bakhmut, une cité de l’est de l’Ukraine. La ville en ruine, compte plus de corps à terre que de bâtiments debout. L’Ukraine ayant coupé les axes de communications avec la ville fait penser que la prise de Bakhmut par la Russie est proche. Mais quelle Russie ? Les troupes régulières ou le groupe Wagner en première ligne sur le front ? Le groupe militaire et l’armée régulière semblent mener une lutte intestine en parallèle au conflit ukrainien. Un concours d’attention visant le Kremlin qui de son côté semble sourd à la querelle.

Outre la ville, le véritable enjeu est celui des prochaines offensives. Celui qui sera capable de sortir de l’immobilisme dans lequel le conflit s’enlise depuis fin octobre pourrait prendre l’avantage.

Au-delà des frontières, de nouveaux acteurs veulent gagner en importance. La Chine ayant récemment présenté un programme de paix en 12 points qui respecterait l’intégrité territoriale. (Un moyen pour la Chine de communiquer à l’international sur ses volontés de leadership, tout en faisant passer le message qu’elle est « pour » la négociation. Se positionner là où l’occident échoue, tout en signifiant au reste du monde que le principe de « l’intégrité territoriale » [faisant clairement référence à Taiwan] est une question cruciale pour Pékin). Une proposition cependant vide de corps vouée à l’échec. Mr Poutine n’entendant pas transiger sur la « nouvelle réalité territoriale » des régions annexés que ce soit en 2014 ou en 2022.

Plusieurs scénarios/hypothèses coexistent actuellement :

  • L’enkystement du front, sans « cessez le feu », mais avec un épuisement des ressources… autant matérielles qu’humaines. Un scénario qui pourrait être en faveur de la Russie si le conflit perdure, à moins d’une montée en puissance de l’appui occidental en Ukraine.
  • Un scénario diplomatique, avec la possibilité du « mi-chemin », avec un retour à la situation de 2021. Une solution qui maintiendrait la Crimée en Russie, et le Donbass en Ukraine. Mais à ce jour, personne n’est réellement prêt à négocier. La Russie n’a pas renoncé à conquérir la totalité du Donbass, tandis que l’Ukraine souhaite reconquérir par la force les territoires perdus.

En fond sonore, la montée en puissance de l’idéologie portée par l’Europe de l’Est « Il n’y a pas de sécurité globale sans démembrement de la Russie ». Un discours qui sert le narratif russe de « légitime défense » de la Russie face à un occident violent aux volontés destructrices…

L’année 2022 a transformé l’« opération militaire spéciale » en véritable conflit interétatique. En découlent fracture idéologique sur l’échiquier international et nervosités qui se déplacent au gré des tensions et accords énergétiques et/ou alimentaires.

Un évènement majeur, véritable marqueur de la géopolitique du XXI° siècle.

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En 20 sec :

Un conflit autour de la souveraineté nationale, qui provient à la fois d’un nouvel ordre mondial et de la dissolution de l’URSS… qui remonte jusqu’à notre actualité par le biais des sentiments de rejets et d’encerclement vécu par la Russie… Un conflit qui donne corps aux tensions que la guerre froide avait su éviter.

ALTERNANCE DES INFLUENCES EN UKRAINE

Le conflit ukrainien est venu challenger notre début d’année 2022, mais les braises couvent depuis de nombreuses années voire décennies. Une guerre fraternelle où les arbres généalogiques s’entremêlent et se jouent des frontières. En Ukraine, quasi un tiers de la population est russe et en Russie il y a au moins 20% de la population qui a des origines ukrainiennes. C’est un conflit à haute tension émotionnelle pour les populations aujourd’hui qui en fonction de l’issu risque d’en porter les fruits dans les décennies à venir. Un conflit qui se projette d’ores et déjà dans l’avenir, tout en prenant racine dans le passé.

 

À l’aube du XXI°s  les relations internationales se sont invité dans les élections présidentielles en Ukraine. Élection opposant un partisan au rapprochement avec l’Europe : Iouchtchenko, à un candidat pro-russe : Ianoukovitch. Élections à l’occasion desquelles se déclenche la révolution orange devant les suspicions de fraude. Un vote réorganisé un mois plus tard porte Iouchtchenko à la présidence et marque un rapprochement notable de l’Ukraine envers l’OTAN et l’Union européenne.

 

Une présidence décevante ramène Viktor Ianoukovitch (prorusse) à la présidence en 2010, qui s’empresse de déconstruire les rapprochements vers l’ouest et de donner des gages à la Russie. La neutralité envers l’OTAN, le maintien du statut de la langue russe au sein de l’Ukraine et le renouvellement du bail du port de Sébastopol (où est basé une partie de la flotte navale russe sur la mer noire) au-delà de 2017.

 

En 2013, l’Ukraine est au bord de la faillite. (Notons qu’aujourd’hui encore l’Ukraine est le seul pays des anciennes entités soviétique à avoir un PIB/hab inférieur à celui lors de l’indépendance en 1991) Pour faire face à cette crise, le gouvernement ukrainien pro-russe choisit de passer un accord avec la Russie (qui offre une levée des barrières douanières, une baisse du prix du gaz russe et un prêt de 15MUSD)  alors qu’il avait d’ores et déjà entamé des discussions avec l’Union européenne.

Un accord qui provoque un nouveau soulèvement populaire, c’est la révolution de Maïdan et entraine la chute du gouvernement en février 2014. La présidence par intérim enlève le statut de la langue russe en Ukraine, tente un rapprochement vers l’OTAN… la Russie prend ombrage, on a d’ores et déjà deux lectures différentes d’un même évènement. Du côté russe on l’interprète comme un coup d’état destituant le pouvoir en place et du côté occidental on y lit une révolution renversant un autocrate.

FRACTURE NATIONALE

De fait l’évènement n’est pas sans conséquence. Dans la partie Est du Pays, la population est loin d’être sur la même ligne idéologique et créée des brigades d’autodéfense. En mars 2014, la république autonome de Crimée prend ses distances et signe un rattachement à la Russie suite à un référendum. Le mois suivant les régions de Donestsk et de Louhansk se déclarent indépendantes en tant que RPD (République populaire de Donetsk) et RPL (République populaire de Louhansk), recouvrant 1/3 du territoire du Donbass.  Le pouvoir central à Kiev n’accepte pas la tentative de séparatisme, les combats deviennent de plus en plus présents dans ces régions.

 

A l’automne de la même année l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) tente de rassembler les protagonistes autour de la table pour un cesser le feu.

Du côté russe, la montée en puissance de l’OTAN sur le continent européen devient problématique, l’adhésion des états baltes (Lituanie,  Lettonie et Estonie) à la frontière russe en 2004 marque la dernière acceptation. Lorsqu’en 2008 au sommet de l’OTAN, Mr G.Bush déclare que l’Ukraine pourra un jour faire partie de l’alliance atlantique Nord, La Russie prend ombrage. Nous sommes aujourd’hui en 2022, quelques années déjà que Mr Poutine a compris que l’ouest ne l’accepterait pas. Ce qu’il n’a pas compris c’est que l’Europe ne rejette pas la Russie, mais le comportement de celle-ci… la guerre en Tchétchénie, en Georgie, la Crimée, Le Donbass (un conflit qui dure donc depuis automne 2014, et qui a fait jusqu’à fin 2021 près de 14 000 morts), et son incapacité à être une démocratie libérale et une puissance raisonnée.

FOCUS :

C’est le protocole de Minsk qui ne parvient pas à convaincre malgré une signature de la Russie et de l’Ukraine. 13 points, dont le retrait des armements lourds, la libération des prisonniers d’une partie et de l’autre ainsi que des réformes constitutionnelles qui devait reconnaitre le statut spécial des régions aux mains des séparatistes. Une seconde tentative en février 2015 entérine les accords de Minsk II… toujours non respecté notamment parce que la tenue d’élections dans les régions du Dombass aurait permis à la Russie d’envoyer des députés pro-russes au parlement de Kiev.

Pour aller plus loin : L’Organisation de l’atlantique nord a pour objectif de promouvoir les valeurs démocratiques et de garantir la liberté et la sécurité de ses membres par des moyens politiques et militaires. Rappelons que l’objectif premier de l’OTAN était de mettre en place un pacte d’assistance mutuelle visant à contrer le risque venant de l’Union soviétique. L’OTAN qui comportait 12 membres à ses débuts, en comporte aujourd’hui 30 dont la dernière adhésion remonte à 2020 avec la Macédoine du Nord. Pour autant, plus qu’une réelle volonté expansionniste, l’OTAN répond à des demandes de « mises en sécurité» de la part des pays anciennement membres du pacte de Varsovie.

LA MONTÉE EN TENSION

On le constate ces vingt dernières années, le pouvoir en Ukraine oscille entre politique de rapprochement à l’Ouest et retour vers la Russie. Depuis 2015, c’est un gouvernement tourné vers l’Europe qui lutte contre les régions séparatistes du Donbass et qui approuve en septembre 2020 une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui prévoit le développement d’un partenariat avec l’OTAN.

En novembre 2021, l’Europe et les États-Unis s’inquiètent d’une activité militaire russe aux abords de la frontière russo-ukrainienne. S’en suivent de multiples négociations bilatérales avec le président Poutine, alors que de son côté les États-Unis déclarent publiquement ne pas avoir l’intention d’envoyer des troupes sur le sol ukrainien.

 

Une déclaration prise comme une autorisation de « guerroyer en paix » par la Russie, qui prend le non-respect des accords de Minsk comme prétexte pour intervenir militairement dans le Dombass le 24 février. Trois jours plus tôt, la Russie alors présidente du conseil de sécurité à l’ONU reconnaissait l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, tout en déclarant :

 

« N’appelez pas cela une guerre, mais une opération militaire spéciale dans le Donbass »

 

Sans oublier de rappeler que « l’Occident avait depuis trop longtemps fermé les yeux sur les exactions de l’Ukraine envers le Donbass depuis 2014 » ce qui les obligeait à endosser le rôle du « chevalier blanc ».

 

LA PRISE DES ARMES

Mr Poutine a pris le monde au dépourvu, en mettant ses menaces à exécutions. Ce n’est pas la première fois. En prenant possession de Simferopol (capitale de la Crimée) en 2014 il démontre au reste du monde que la Russie est bel et bien une puissance militaire, et qu’elle est capable d’obtenir ce qu’elle désire…

Aujourd’hui, la Russie utilise la même approche. Des exigences qu’elle entend légitimer par l’Histoire et obtenir soit par voie diplomatique soit par la force :

 

  • Le maintien d’un statut neutre et non nucléaire de l’Ukraine (1994 : désarmement nucléaire de l’Ukraine a été échangé contre un engagement du respect des frontières ukrainiennes par la Russie, incluant la Crimée : donc non respectée par la Russie dés 2014),
  • Une démilitarisation obligatoire (justifié dans un premier temps pour éviter les conflits dans le Donbass) et sa « dénazification» (probablement l’exigence la plus complexe à résoudre, de par la différence de point de vue des protagonistes à ce sujet).
  • La reconnaissance de l’annexion de la Crimée à la Russie
  • La reconnaissance de la souveraineté des régions séparatistes de Louhansk et Donetsk.

En Ukraine, la population se retrouve du jour au lendemain devant les colonnes de chars russes, 3 millions de personnes ont fuit le pays en moins d’un mois, avec probablement beaucoup plus de déplacés (restant dans les frontières du pays).

Les troupes russes utilisent la stratégie de l’encerclement. Autant au niveau des villes, que du pays en lui-même avec des troupes au nord (qui viennent de la base arrière biélorusse) au sud (venant de la Crimée) et à l’est (en traversant le Donbass) qui semblent vouloir se rejoindre pour partitionner le pays et les troupes ukrainiennes en deux.

LA MENACE NUCLEAIRE

Au milieu de cela, Moscou agite la menace nucléaire et propage la peur. Les troupes russes rapidement prennent possession de la centrale de Tchernobyl (qui a explosé en 1986 créant une des plus grandes catastrophes environnementales du XX°s). Le symbole de ce contrôle dans la conscience collective est quasi traumatique. De plus l’arrivée des troupes sur la centrale de Zaporijjia, où un feu se déclare maintient le sentiment d’incertitude et de peur qu’exploite à dessein  Mr Poutine pour ses négociations/exigences.

 

Il couvre le tout d’une menace très claire à quiconque viendrait s’opposer à la Russie en Ukraine et qui se verrait « subir des représailles comme jamais l’histoire n’en a vécu. »

GUERRE D’OPINION

Un conflit qui dès le départ joue le contrôle de l’information. Depuis 8 ans, la Russie expose à ses populations un narratif sur les exactions de l’armée ukrainienne dans les régions du Donbass. Un « livre blanc » y diffuse les « preuves en image ». Pour autant la population russe est bien moins réceptive qu’en 2014 lorsque la Crimée fut ramenée dans le giron russe.

 

Aujourd’hui, il est interdit à la population de contredire/d’interpeller le régime russe sur le conflit. Une nouvelle loi promet de lourdes peines de prison, pouvant aller jusqu’à 15 ans de réclusion pour quiconque viendrait à publier des « informations mensongères sur l’armée russe ». Certains réseaux sociaux sont censurés ainsi que les médias étrangers, qui rapatrient leurs correspondants.

 

Au niveau international, la Russie tente une désinformation pour imposer sa grille de lecture et légitimer son action contre l’Ukraine. Elle accuse l’Occident ne pas tenir ses promesses. Un message qui fait écho à ces deux dernières années, où effectivement l’occident n’a pas tenu ses engagements auprès… du monde entier en se réservant la quasi-totalité des vaccins anti-covid. Alors que la Russie et la Chine (à plus grande échelle) ont largement diffusé leurs vaccins dans les pays à revenu faible et intermédiaire, accompagné du message:

«Nous n’avons pas eu besoin de claironner vouloir aider le monde sans le faire…

Nous, nous le faisons.»

Le Mexique, le Brésil, l’Iran, une grande partie des pays d’Afrique, l’Inde… ont reçu en 2021, le vaccin Spoutnik V. Ces mêmes pays qui aujourd’hui ne souhaitent pas mettre en application les sanctions occidentales envers la Russie.

Une Russie qui a tout intérêt à élargir le narratif du conflit pour rallier autour d’elle. Un conflit porté par un sentiment de rejet et d’incompréhension de son temps passerait beaucoup moins bien qu’une guerre contre les propensions expansionnistes de l’occident (expansion de l’OTAN dans les anciens pays du pacte de Varsovie). C’est d’autant plus facile à défendre à l’international, que cela fait écho à l’histoire coloniale du vieux continent… une blessure encore largement non cicatrisée dans de nombreux pays.

 

La Chine, pays avec lequel Mr Poutine a signé un accord sur le « nouvel ordre mondial démocratique » il y a moins d’un mois, s’est abstenue de voter la résolution « Agression contre l’Ukraine » de l’assemblée générale des Nations Unies le 2 mars dernier. Il y a aujourd’hui un partenariat entre les deux pays qui implique si ce n’est une validation, tout au moins une acceptation des agissements de l’un et l’autre. D’autant plus qu’en se mettant à dos l’Union européenne, la Russie espère élargir ses relations commerciales et diplomatiques dans l’aire asiatique dont elle fait partie.

MOBILISATION INTERNATIONALE

L’Ukraine résiste, se découvre un président symbole de résilience et d’adaptation du peuple, qui sait parler au reste du monde en demandant assistance et exclusion de l’espace aérien. Une solidarité inédite se met en place dans les pays européens autant au niveau des sociétés civiles, que des états qui arme la population russe et entame une succession de sanction à destination de la Russie.

Des sanctions contre la Russie, il y en a déjà quelques centaines, mais février 2022 voit durcir la ligne de celles-ci. S’ajoutent aux gels des avoirs de certains oligarques, des sanctions qui surprennent la Russie par leurs sévérités : Rupture d’accès aux technologies cruciales (composants électroniques, logiciels et composants aéronautiques) Fermeture de l’espace aérien européen aux avions russes, censures des médias d’opinion russe en France.

Le 1er mars marque une étape supplémentaire avec l’exclusion de plusieurs banques russes du système de communication interbancaire : SWIFT (Society for worldwide interbank financial telecommunication).

 L’Allemagne suspend la mise en service du gazoduc « Nord Stream 2 », la Suisse sort de sa neutralité pour suivre la totalité des sanctions imposées par l’UE à la Russie. La banque mondiale interrompt ses programmes d’aide à la Russie et la Biélorusse. Plusieurs groupes privés y boycottent et ferment leurs activités : Sony, Disney, Apple, H&M, Ikea, One Web, Hermes…

L’Europe se découvre un véritable pouvoir insoupçonné sur la plan économique, sans pour autant être capable d’activer le plus efficace des leviers : l’énergie et plus précisément le gaz. L’Europe porte une très forte dépendance au gaz russe, pouvant aller jusqu’à 100% en Autriche et 20% pour la France. Une dépendance qui, d’un côté finance la Russie, mais rend également inenvisageable d’amener les sanctions sur le plan énergétique pour l’année 2022.  

 

Le monde du sport réagit également, le CIO, l’exclusion des athlètes paralympiques des JO de Pékin, les grandes rencontres sportives qui devaient se tenir en Russie sont relocalisés (la finale de la champion league devant se tenir à Saint Peterbourg sera au stade de France), les rencontres d’équitation, d’échecs…

 

L’OTAN, L’Union européenne, les différents pays appelés à l’aide par l’Ukraine tente de réussir le tour de force du double jeu : soutenir l’Ukraine le plus possible sans déclencher l’entrée dans le conflit des forces de l’OTAN qui reviendrait à déclencher peu ou prou une 3e guerre mondiale. A éviter absolument.

Pour cela il est important que l’occident communique sur la raison de son engagement auprès de l’Ukraine : défendre la souveraineté territoriale d’un état agressé en Europe continentale.  

ET DEMAIN ?

 

Les quatrièmes pourparlers sont en cours actuellement avec une tentative d’« un cessez-le-feu et un retrait des troupes russes » du territoire Ukrainien alors même que les frappes russes continuent de viser Kiev.

 

De son côté le président ukrainien reconnait que son pays ne pourra pas adhérer à l’OTAN, tout en estimant que les Russes auraient « commencé à comprendre qu’ils ne parviendraient à rien par la guerre ».  l’Ukraine se vide de sa population, une économie à l’arrêt, des problèmes de ravitaillement qui se généralise, mais qui n’envisage à ce jour aucune reddition.

 

Le Conflit Russo-Ukrainien démontre par les faits le besoin nécessaire et indispensable de redéfinir les règles des relations et des instances internationales. Le maintien du P5, le club des membres permanents au conseil de sécurité ne font que tisser une dynamique que l’on pensait aujourd’hui révolue. Il est temps d’ouvrir ce conseil de sécurité à la multipolarité de notre monde, avant qu’il ne nous enferme à nouveau dans une bipolarité où l’occident risquerait de ne pas en sortir gagnant…

 

Crise de la Covid-19, dérèglement climatique, montée en puissance de la Chine, retour de l’Amérique avec Biden… Chaque jour, les nouvelles du monde nous prouvent que ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières ne nous est pas étranger. Mais comment s’y retrouver dans ce flux d’informations, sans se sentir désarmé ?

Conçu comme une référence familiale, ce livre entièrement illustré constitue une introduction pédagogique et ludique à la géopolitique et aux relations internationales. Enrichi de dessins évocateurs, de photos d’archives et de cartes détaillées, il propose une approche divertissante et originale de l’actualité, selon trois axes :

Des REPÈRES HISTORIQUES, car on comprend mieux les événements d’aujourd’hui quand on connaît le monde d’hier.


Des FOCUS RÉGIONAUX pour cerner les problématiques spécifiques des différentes régions du monde.


Des QUESTIONS CONTEMPORAINES afin de mieux appréhender les enjeux du monde actuel.

S’appuyant sur une mise en page dynamique, chacun des chapitres, très structuré, vous permettra de vous informer, en fonction de votre niveau de connaissances et de votre degré de curiosité : un aperçu rapide vous permettra d’aller à l’essentiel, des zooms vous aideront à intégrer les notions clés et des approfondissements vous inviteront à aller plus loin.

Avec ce livre « La géopolitique, tout simplement » Pascal Boniface et moi même avons voulu contribuer à rendre accessible au plus grand nombre les sujets essentiels pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, parler simplement sans simplification excessive, montrer la complexité des situations en les rendant facilement intelligibles. Aux lecteurs de dire si nous avons réussi ce pari. 

En librairie dés le 18 novembre 2021