La violence n’est pas innée
Elle n’est inscrite dans aucun gêne ni aucune condition. La violence est acquise et apprise… par mimétisme.
La répression pour répondre à l’ultraviolence, c’est la loi de la jungle : « Œil pour œil, dent pour dent. ! » On répond à la violence par la violence, en espérant la faire décroitre.
La répression n’est pas une réponse à la violence des jeunes, mais à destination de la population. Il faut agir ! Vite, fort, reprendre le contrôle ! C’est relativement facile, pas très cher, temporellement acceptable sur le temps politique et cela donne l’impression qu’une réponse est donnée. Est-ce que cela donne des résultats ? C’est moins sûr.
La violence des jeunes est multifactorielle
Elle s’insère et s’inscrit dans les différentes sphères de la vie de ces jeunes. Du fonctionnement personnel à la société en général, à la manière d’une poupée russe.
Les facteurs de risques de la violence que l’on retrouve chez l’individu marquent l’impact qu’a le regard de l’autre sur la construction personnelle. On y retrouve l’échec scolaire de ce jeune qui ne trouve pas sa place dans un système compétitif, individualiste et formaté…, le TDAH (déficit d’attention et hyperactivité) qui complexifie encore le relationnel avec le système de manière général, et scolaire en particulier, ainsi que des troubles des conduites et/ou du comportement.
La relation avec les proches est la seconde enveloppe structurelle de la violence. On y retrouve le désinvestissement parental (par désintérêt ou par difficulté logistique de ces parents qui accumulent 3 jobs pour parvenir à boucler les fins de mois…), mais aussi l’autre côté du spectre avec une parentalité trop dure, des violences ordinaires éducatives, des injonctions incohérentes…
La famille est un enjeu primordial dans la lutte contre la violence, c’est le cœur du sujet. L’espace psychique où se construit la « normalité » de l’individu. De fait, toute violence, qu’elles soient psychiques ou physiques (ou même « seulement » perçues), a la capacité de se répercuter sur les enfants et adolescents de la famille. Sur l’instant T, mais également dans le futur.
La discussion en famille/à l'école est la clef de la prévention
Parler en famille, demystifier la violence en tant que réponse. Trouver les clefs, expliquer comment faire autrement… c’est une habitude qu’il nous faut prendre dès le plus jeune âge… Oui, la violence est partout, et c’est pour cela qu’il faut en parler à nos enfants… afin qu’ils ne tombent pas dans son piège si bien rodé… On en parle ici sur l’exemple de « comment parler d’une attaque dans une ecole à mon enfant » ?
Cette même logique de violence traverse chaque échelle : après l’individu et sa famille, elle s’enracine dans les communautés et les sociétés entières.
Les facteurs de risques que l’on retrouve au niveau des communautés font état d’inégalité de revenus au sein des sociétés, de la pauvreté, du chômage, de la qualité de la gouvernance de l’exécutif (que cela soit les lois et leur application, mais aussi de manière plus transversale les politiques d’éducations et de protection sociale). Mais aussi l’accès à l’alcool, aux drogues, armes à feu ainsi que la présence de gangs.
C’est bel et bien, cette accumulation de cadre de contrainte qui accouche de la violence.
L’être humain, né le plus immature de tous les mammifères, a tout à apprendre. Et lorsque la violence se retrouve à chacune des étapes de sa vie, que le monde des adultes dans lequel il doit se projeter ne propose pas grand-chose d’autre que cette même violence… Il est difficile d’y échapper.
De leur côté, les jeunes sont nourris aux réseaux sociaux qui travestissent le principe de réalité, tandis que le monde continue son fonctionnement dans l’indifférence générale : Absence de reconnaissance, management toxique, turn-over dicté par la productivité où l’humanité n’est qu’un concept, burn-out, licenciement abusif, exploitation, harcèlement administratif-moral-sexuel… Tous ces travailleurs, salariés ou libéraux sont aussi des parents, qui ramènent leurs frustrations, leurs colères et leurs souffrances à la maison. Ils n’ont alors plus le temps ni l’énergie psychique de prendre soin de leurs enfants comme il le devrait. Ils se retrouvent souvent avec le triple fardeau de la problématique au travail, la dérive de leurs enfants et la mise au pilori par le reste de la société.
Une société qui par ailleurs est spectatrice de relations internationales pas plus pertinentes, où des invasions sont lancées sur la base de traumatisme individuel et/ou collectif… où l’importance de la violence est tellement présente qu’elle ne fait même pas l’effort d’être en filigrane. Dans cette sphère, on retrouve encore une fois l’absence de reconnaissance, l’exploitation, le harcèlement moral et physique… dans l’indifférence générale, ce qui génère une violence devenue conflit.
Comment, dans un tel contexte, s’étonner qu’une partie de notre jeunesse suive ce chemin ?
Cependant avant de tomber dans le catastrophisme, dont certains partis politiques aiment nourrir leurs argumentaires, il faut tout de même avoir conscience que la violence des jeunes est en diminution au niveau global dans les pays à hauts revenus, dont nous faisons partie.
Par contre, nous, société, devenons intolérante à cette violence, alors qu’elle se banalise de plus en plus. À travers nos médias, nos loisirs (souvenons-nous du succès mondial de « Squid Game »), nos écrans. Une façon de la mettre à distance. Comme la répression propose de le faire… l’internat, la prison est une mise à distance.
Une réponse dans l’ici et maintenant s’impose, mais elle doit s’inscrire dans un continuum cohérent et coordonné. Une réponse globale qui traite les déterminants au même titre que la violence elle-même. C’est alors une réponse qui se doit de transcender le temps politique. Être un fil d’Ariane des prochaines décennies… Comprendre et faire comprendre qu’une amélioration ne peut être pérenne qu’en ces conditions : S’attaquer à chaque cadre de contrainte et le modeler jusqu’à ce que la violence n’en soit plus le résultat.
Chacun de nous avons la capacité d’agir dessus, à notre niveau. Si en tant que famille nous n’avons pas le pouvoir de stopper la guerre en Ukraine ou au Moyen-Orient, nous avons le pouvoir d’éteindre le JT pendant le diner familial, d’ouvrir la discussion avec nos enfants ; sur ce qu’ils savent, entendent et croient savoir. Le parent doit être un filtre entre le monde merveilleux des adultes et ses enfants. Savoir rassurer et savoir dire que si pour l’instant nous n’avons pas de réponses sur certaines questions, on peut chercher ensemble. Apaiser et surtout maintenir le contact à tout prix.
En tant que système scolaire qui cherche sa révolution dans le numérique, j’ai envie de dire que la révolution serait dans l’utilisation des valeurs de coopérations entre élèves et non pas la compétition. On ne peut plus attendre d’atteindre le post-bac pour voir de serious game proposés à nos jeunes, pour leur démontrer que l’on travaille mieux et plus efficacement en groupe. Alors qu’on vient de passer 18 ans à les formater à travailler seul, en ne comptant que sur eux-mêmes. Le travail de groupe, l’intelligence collective, apprendre à gérer sa colère, travailler les compétences sociales… c’est comme tout, cela s’apprend et plus tôt est le mieux.
Non, tout n’est pas de la responsabilité de l’école. Mais cela veut dire qu’aujourd’hui il faut également penser une éducation à la parentalité. Nous n’avons plus trois générations sous le même toit pour transmettre les valeurs, messages et bonnes pratiques, voire le bon sens. Et la parentalité, toute naturelle soit-elle, ce n’est pas facile et pas inné non plus. Encore moins lorsque les fictions, publicités et autres avatars du XXI°s véhiculent de fausses bonnes idées sur la façon d’être parents.
De son côté, le monde merveilleux du travail appelle à l’humanité de chacun, qui aujourd’hui exhorte peut-être à un changement de paradigme où l’objectif ne serait pas simplement financier, mais aussi humain. Cela tombe bien, cela pourrait également permettre de travailler à la lutte contre le changement climatique, qui elle aussi nécessite cette même transformation.
Faire diminuer la violence prend du temps, mais elle demande surtout un engagement politique sur lequel pourraient se greffer les bonnes volontés de chacun (individuel, institutionnel et industriel). Penser le temps long, transformer les perspectives et l’avenir que l’on se construit.