La guerre Russie Ukraine,
1 an après

Un an que la guerre entre la Russie et l’Ukraine défie les analystes et la logique géopolitique.
Alors qu’il était plus ou moins acté que les conflits interétatiques de hautes intensités faisaient partie du passé, la Russie est venue rappeler à l’occident qu’en géopolitique il ne fallait pas seulement réfléchir avec la tête, mais aussi tenter d’en comprendre le cœur.

Pensée comme une attaque éclair, l’opération spéciale de la Russie infirme d’une nouvelle illustration la théorie de la pacification par le marché économique. L’affrontement s’enlise et laisse l’occasion à chacun des belligérants ; enfermés dans leurs certitudes et leurs légitimités ; à se plonger dans le jusqu’au boutisme.

La guerre hybride du XXI° s

Dès le début du conflit fin février 2022, la Russie a tenté une prise en étau de l’Ukraine. Les troupes russes arrivaient par le sud, l’est et le Nord ciblant Kiev, dans l’objectif de faire tomber le reste du territoire. Alors que mi-mars la région de Kiev était largement occupée par les troupes russes, la ville a su résister. La contre-offensive ukrainienne début avril libéra le nord-est actant l’échec d’une prise rapide de la capitale. Les forces russes se dévoilant ainsi mal renseignées, mal préparées, et surtout mal coordonnées. En se retirant de la zone du Nord-Est, les troupes russes laissèrent trace de ces trop nombreuses exactions, corps gisant dans la rue, viols utilisés comme arme de guerre, tortures… dont Boutcha (ville à l’ouest de Kiev) devient le symbole. Au printemps la Russie s’est alors repliée dans le Donbass d’où elle pilonne le front ukrainien.

Rapidement, l’Armée et la société civile ukrainiennes se sont organisées. Volodymyr Zelenski (président de l’Ukraine) symbole de la résistance ukrainienne face au Goliath russe, est venu toquer aux portes occidentales et internationales pour obtenir armes et soutiens. Tout en reconnaissant et condamnant l’invasion, l’occident reste dans la crainte d’un emballement nucléaire tout autant qu’un élargissement du conflit au continent Européen. Ce sont donc des armes à visée défensive qui sont fournies à l’Ukraine. Finalement, c’est la Pologne en premier qui a procuré des chars à l’Ukraine, suivis par les lance-roquettes multiples américains. Un arsenal venu renforcer la force de frappe ukrainienne, permettant la contre-offensive qui libéra l’est de Kharkiv début septembre et Kherson en novembre 2022. 

La libération de la région de Kharkiv dans le nord-est, a poussé Vladimir Poutine (Président de la Russie) à déclarer une mobilisation partielle de sa population. 300 000 hommes supplémentaires, dont une grande majorité a été envoyée sur le front sans formation ni préparation. La Russie a concentré son effort sur le sud-est du Pays afin de maintenir une continuité territoriale entre la Russie et la Crimée. S’assurant ainsi le maintien d’un débouché sur les mers du Sud à travers le port de Sébastopol. Fin septembre La Russie a déclaré les quatre régions de Kherson, Zaporijjia, Donetsk et Louhansk juridiquement Russe. Depuis lors le conflit semble s’enliser pour ressembler à une guerre hybride mêlant guerre de position avec tranchée, drones armés, chars et moyen de communication basé sur le système satellitaire Starlink.

OTAN/UE, l’effet domino

Un an de guerre que l’on a qualifié début 2022 de fratricide aura suffi pour éloigner durablement l’Ukraine de l’influence russe. Alors que Mr Poutine espérait consolider l’influence russe sur le versant Est du continent européen, il n’a fait qu’en précipiter le virage vers l’Ouest.

L’Ukraine en premier demanda la double adhésion à l’UE et l’OTAN, entrainant dans son sillage la Géorgie craignant d’être les prochaines cibles du Kremlin. La Moldavie de son côté sollicita l’adhésion à l’UE, tandis que la Bosnie-Herzégovine, la Finlande et la Suède frappèrent à la porte de l’OTAN pour s’assurer d’une protection militaire contre un voisin finalement trop proche.

En redonnant vie à l’OTAN, Vladimir Poutine obtient l’exact opposé de son objectif initial, mais c’est aussi l’Europe qui y perd son rêve d’autonomie stratégique en se remettant sous couvert américain.  

A l’est du front :

La Russie du XXI° s non reconnue par l’Occident (UE, mais surtout les USA) comme puissance mondiale, a voulu montrer qu’elle avait toute sa place sur l’échiquier mondial. Pour autant à ce jour, aucun des objectifs annoncés par la Russie au début du conflit n’ont été remplis : L’Ukraine a perdu toute velléité de neutralité, n’a jamais été autant militarisé et clame au monde entier que la guerre ne sera finie que lorsqu’elle aura récupéré l’intégralité de son territoire ; Crimée et les régions du Donbass comprises. « L’opération militaire spéciale » annoncée le 24 février 2022 avait été lancée sur un argument de défense de l’espace vital de la Russie. Vladimir Poutine voulant garder l’Ukraine comme zone tampon entre la Russie et l’OTAN.

Pour aller plus loin :

Le narratif de ce premier communiqué du Kremlin en février 2022 est important et dresse la ligne de conduite des mois qui ont suivi. À destination de sa propre population, mais également vers le reste du monde. Vladimir Poutine a su modeler son récit pour endosser le rôle du chevalier blanc venant à la rescousse des opprimés du Donbass dans une Ukraine qui ne respectait pas les accords de Minsk. Une lecture des évènements partagés par certains pays et qui alimentent aujourd’hui une fracture non pas Nord/Sud, mais Occident versus le reste du monde. 

L’annonce de l’« intervention militaire spéciale » était assortie de « conséquences auxquelles vous n’avez jamais été confrontés dans votre histoire » à tout acteurs volontaristes de l’extérieur… Tout le monde ayant bien compris l’allusion à la menace nucléaire. Une stratégie de la terreur qui alimenta les discussions sur le positionnement des états européens face à ce conflit dans son arrière-cour. Se positionner, aider, fournir du matériel, des formations, des hommes au risque d’être considéré comme cobelligérant ? faut-il risquer l’extension du conflit au continent européen ? Un danger trop important qui poussa les pays occidentaux à répondre dans un premier temps par des sanctions économiques afin de ne pas franchir le pas de la prise d’armes. La Russie et l’Europe ayant des liens économiques forts, l’UE pensait pouvoir affaiblir la Russie pour la contraindre à un cessez-le-feu.   

De l’unité fantasmé à la fracture

Des sanctions économiques qui ont fait attention d’épargner dans un premier temps les acteurs et banques par lesquels transitaient les opérations liées au gaz et pétrole. Plusieurs pays européens notamment la Pologne, l’Allemagne, l’Italie et Autriche étaient grandement dépendants du gaz russe. Un lien qui ne peut se défaire en quelques jours sans avoir un impact majeur sur l’économie et les populations en général.
C’est ainsi qu’une première salve de sanctions fut lancée dès fin février, avec l’intention non cachée d’isoler la Russie sur le plan économique. L’occident à ce moment compte sur la condamnation internationale de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et c’est le cas, le 2 mars 2022 la quasi-totalité des états membres des Nations unies vote la condamnation de l’agression contre l’Ukraine. D’autres s’abstiennent (comme l’Iran ou la Chine), mais seules la Biélorussie, l’Érythrée, la Syrie et la Corée du Nord vote contre. Mais cette condamnation morale ne veut pas dire condamnation économique et de fait, peu de pays soutiennent et appliquent les sanctions économiques européennes contre la Russie. Beaucoup de pays affichent une neutralité face au conflit considérant que ce conflit occidentalo-occidental ne les concerne pas ou trop peu pour s’impliquer et prendre position. On retrouve la notion des « non-alignés », cette fois mené par une Chine qui se voudrait leader du Sud Global.

À l’heure où le monde occidental aligne sa dixième salve de sanctions économiques début 2023, l’économie de la Russie ne s’est pas effondrée pour autant. En se désengageant du marché européen, la Russie s’est tournée vers l’Asie y trouvant les débouchés nécessaires pour que son économie n’affiche qu’une baisse de 2,5 % de son PIB en 2022. La hausse des prix de l’énergie sur le marché mondial ayant limité la récession économique du pays. Pour autant la situation en Russie n’est pas simple, la répression au sein même de la population russe a fait fuir une part importante de la population. Notamment parmi les classes aisées et socioprofessionnelles élevées. C’est quasi un million de jeunes diplômés qui ont quitté la Russie en 2022 (un déficit qui impactera la Russie autant dans son économie que dans son développement technologique dans les années à venir) auxquels il faut ajouter les quelque 200 000 victimes (blessés et/ou tués selon les estimations US) du front qui ne participent plus à l’économie russe.

Si en février 2022 la population russe soutenait massivement « l’opération militaire spéciale », ce n’est plus le cas actuellement. Pour faire face aux contestations internes, le Code pénal russe a évolué pour interdire la critique envers l’armée et le gouvernement… délit qui peut valoir jusqu’à 15 ans de prison pour un message posté sur les réseaux sociaux. Les familles des mobilisés se font de plus en plus entendre…

Malgré cela Vladimir Poutine s’en tient toujours à ses objectifs, et ne semble pas envisager de négociation qui viendrait remettre en cause « l’intégrité du territoire russe » dans sa globalité… (dont les 4 provinces nouvellement acquises).

Pour aller plus loin :

Quid des unités Wagner ? L’apparition dans le champ médiatique des unités Wagner (présidé par Evgueni Prigojine) en Ukraine n’a mis en lumière que la désorganisation supplémentaire de la chaine hiérarchique de l’armée russe. Double revendication de prise de la ville de Soledad par les unités Wagner et par l’armée russe conventionnelle. Les agissements du groupe Wagner dépassent allégrement le droit de la guerre autant vis-à-vis de ses propres mercenaires considérés comme de la « chair à canon » qu’envers les combattants et civils ukrainiens. Le groupe Wagner a été désigné aux USA comme une organisation criminelle internationale transnationale. E.Prigojine gêne jusqu’à Moscou où il fut le grand absent du dernier discours de Vladimir Poutine fin février 2023.

Quel impact sur le monde ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a attrapé la communauté internationale en pleine pandémie de covid19. Occupé à relancer une activité économique et rassuré par le principe de pacification par le marché, le monde occidental ne croyait pas à l’invasion. Par conséquent, il ne s’y était pas préparé, prenant de plein fouet les diverses conséquences du conflit et des sanctions économiques. La grande dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie a lancé une crise énergétique sur le continent générant une pénurie et portant l’inflation sur la zone euro de 8,5 % en 2022. Alors que le prix des énergies (gaz et pétrole) a ralenti leur progression début 2023, les prix alimentaires prirent le relais du moteur de l’inflation… Impactant toujours les foyers les plus vulnérables.

Le conflit Russo-Ukrainien à travers sa double composante énergétique et agricole dépose une ombre pouvant se déployer sur le monde dans sa globalité. L’alimentaire et l’énergie étant deux composantes nécessaires et indispensables à une société prospère. Leurs absences à la capacité de faire plonger n’importe qui en mode survie.  

Le grenier du monde

La Russie et l’Ukraine font partie des 10 plus gros producteurs de céréales au niveau mondial. Une particularité qui a fait peser le spectre de la famine dans plusieurs pays (notamment dans les régions subissant des sècheresses pluriannuelles, comme c’est le cas dans la corne de l’Afrique) avant que l’exportation maritime céréalière (90 % de la production ukrainienne) ne puisse se relancer via les « corridors de solidarité » céréaliers et le corridor sécurisé en mer Noire à l’été 2022. Cependant les mois/années à venir porteront de nouveau la question alimentaire. L’Ukraine n’a pu récolter que 50 % de sa capacité usuelle et le manque de céréales sur le marché mondial ne peut être remplacé par d’autres nations… Tout simplement parce que d’ores et déjà toutes les nations agricoles tournent à plein régime. D’autre part l’accord avec la Russie, sécurisant le corridor en mer Noire arrive ; après le passage de quelque 1300 navires ; à échéance le 18 mars prochain… posant la question de sa pérennité. Rappelons que 44 % du blé acheminé par ce corridor au cours des sept derniers mois ont été vendus à des pays à revenu faible et intermédiaire.

Indispensable énergie

Sur le versant énergétique, depuis 2021 Gazprom (Société russe détenue à 50,2 % par le gouvernement russe) utilisait de moins en moins les gazoducs via l’Ukraine et la Pologne et préférait piocher dans les stocks que l’entreprise contrôlait au sein de l’UE pour fournir l’Europe. Une politique qui nourrit la crise énergétique structurelle, notamment causée par le regain économique postCovid. Une reprise qui relança la consommation de GNL (Gaz naturel liquéfié) notamment en Asie, ce qui contribua de nouveau à la hausse des prix.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Russie via GazProm multiplia les raisons (techniques et contractuelles) pour diminuer ses livraisons de gaz à l’UE. La réalité géopolitique ainsi que celle du marché de l’énergie amenèrent l’Union européenne à prendre conscience de sa vulnérabilité. À travers le plan « REPower EU », l’UE affirme au printemps 2022 son ambition de gagner son indépendance vis-à-vis de La Russie bien avant 2030. La suite de l’année 2022 conforte l’UE dans sa position, notamment en voyant les prix du Mégawattheure s’envoler (340 €/MWh en aout 2022 vs 30 € en 2021) ainsi que les sabotages de NordStream 1 et 2 en septembre 2022.

C’est quoi « Repower EU » ?

Le plan adopté par l’EU vise à réaliser des économies d’énergie (en termes d’efficacité, mais aussi de sobriété), accélérer la production d’énergie renouvelable et travailler à une diversification des sources d’approvisionnement en énergie. 

La sobriété est entrée dans le discours politique par le biais de l’urgence géopolitique, et préfigure les difficultés d’approvisionnement énergétique pour l’hiver prochain au sein de l’UE et de ses pays membres. Une sobriété à tous les niveaux qui associée à la montée en puissance des énergies renouvelables devrait être la ligne de conduite de 2023. Ce qui aurait le double avantage d’agir également dans la direction des accords de Paris de 2015. 

D’autant plus important lorsque l’urgence de la guerre invisibilise les grands challenges du XXI° s qui nécessitent la coopération de tous, notamment la lutte contre le changement climatique qui fait de plus en plus de dégâts à travers le monde. Les catastrophes naturelles en 2022 ayant tué 11 000 personnes et entrainé plus de 270 milliards d’USD de dégâts. 

Quel avenir pour le conflit ?

Aujourd’hui le monde a les yeux rivés sur Bakhmut, une cité de l’est de l’Ukraine. La ville en ruine, compte plus de corps à terre que de bâtiments debout. L’Ukraine ayant coupé les axes de communications avec la ville fait penser que la prise de Bakhmut par la Russie est proche. Mais quelle Russie ? Les troupes régulières ou le groupe Wagner en première ligne sur le front ? Le groupe militaire et l’armée régulière semblent mener une lutte intestine en parallèle au conflit ukrainien. Un concours d’attention visant le Kremlin qui de son côté semble sourd à la querelle.

Outre la ville, le véritable enjeu est celui des prochaines offensives. Celui qui sera capable de sortir de l’immobilisme dans lequel le conflit s’enlise depuis fin octobre pourrait prendre l’avantage.

Au-delà des frontières, de nouveaux acteurs veulent gagner en importance. La Chine ayant récemment présenté un programme de paix en 12 points qui respecterait l’intégrité territoriale. (Un moyen pour la Chine de communiquer à l’international sur ses volontés de leadership, tout en faisant passer le message qu’elle est « pour » la négociation. Se positionner là où l’occident échoue, tout en signifiant au reste du monde que le principe de « l’intégrité territoriale » [faisant clairement référence à Taiwan] est une question cruciale pour Pékin). Une proposition cependant vide de corps vouée à l’échec. Mr Poutine n’entendant pas transiger sur la « nouvelle réalité territoriale » des régions annexés que ce soit en 2014 ou en 2022.

Plusieurs scénarios/hypothèses coexistent actuellement :

  • L’enkystement du front, sans « cessez le feu », mais avec un épuisement des ressources… autant matérielles qu’humaines. Un scénario qui pourrait être en faveur de la Russie si le conflit perdure, à moins d’une montée en puissance de l’appui occidental en Ukraine.
  • Un scénario diplomatique, avec la possibilité du « mi-chemin », avec un retour à la situation de 2021. Une solution qui maintiendrait la Crimée en Russie, et le Donbass en Ukraine. Mais à ce jour, personne n’est réellement prêt à négocier. La Russie n’a pas renoncé à conquérir la totalité du Donbass, tandis que l’Ukraine souhaite reconquérir par la force les territoires perdus.

En fond sonore, la montée en puissance de l’idéologie portée par l’Europe de l’Est « Il n’y a pas de sécurité globale sans démembrement de la Russie ». Un discours qui sert le narratif russe de « légitime défense » de la Russie face à un occident violent aux volontés destructrices…

L’année 2022 a transformé l’« opération militaire spéciale » en véritable conflit interétatique. En découlent fracture idéologique sur l’échiquier international et nervosités qui se déplacent au gré des tensions et accords énergétiques et/ou alimentaires.

Un évènement majeur, véritable marqueur de la géopolitique du XXI° siècle.

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